Polpo, Trésors de la cuisine vénitienne de Russell Norman - Partie 1
Quand tout commence avec une envie de risotto et se termine avec de la saucisse bien grasse accompagnée de... Fruits confits
Le livre en un coup d'oeil
⭐⭐⭐⭐⭐ Un super livre avec peu de défauts
❤️ Les trucs que j'ai aimés : le design du livre, sublime ; des recettes qui permettent de découvrir une cuisine italienne moins connue ; des recettes courtes, réduites au strict minimum en termes d'étapes et d'ingrédients
💔 Ce que j'ai moins aimé : pas grand chose à vrai dire !
🍮 Les recettes que j'ai faites : 3 recettes au total que j'ai toutes aimées, mais qui peuvent ne pas être du goût de tout le monde
😋 Ma recette préférée : Brochettes de fenouil grillé et anchois nature - p 53
💪 Niveau d'accessibilité : Très accessible. Seuls quelques ingrédients régionaux demandent d'avoir accès à une épicerie spécialisée.
Mon avis sur Polpo, un livre de cuisine vénitienne
Si je chronique ce livre, c’est (en partie) grâce à un camarade de classe, qui avait ramené du risotto au saumon un midi. Un plat qui devait être tout à fait banal pour lui - surtout qu’il s’amuse maintenant à faire des pithiviers le week-end quand il s’ennuie, oui, le même plat de ouf qui avait soi-disant mis en sueur les demi-finalistes de Top Chef il y a quelques années #unmytheseffondre 🤷 Plat du quotidien pour mon camarade donc, mais la cuillerée que j’ai goûtée m’a fait ensuite rêver de bouillon de riz italien pendant toute une semaine.
Le tupperware de mon collègue aura été le petit coup de pouce dont j’avais besoin pour craquer pour Polpo, un livre de cuisine italienne que j’avais dans ma wishlist depuis des lustres. Si votre librairie dispose d’un exemplaire, vous ne pourrez pas le manquer. C’est à ma connaissance le seul livre de cuisine qui possède une tranche nue avec les fils de reliure apparents et le titre imprimé en noir. Voyez cette splendeur de papier ci-dessous :
Au-delà de cette belle tranche, le travail de l’agence Praline sur ce livre est juste FOU. Si comme moi, le critère esthétique est important pour vous dans un livre de cuisine, vous allez avoir du mal à ne pas craquer, désolée à l’avance pour votre portefeuille 😅
Un de mes sites favoris, It’s Nice That, en résume bien les qualités esthétiques :
“The combination of deconstructed, spineless format (practical for real-life kitchen use), old Venetian typefaces and beautiful photography come together to create not only an intoxicating hymn to Russell’s stripped-back foodie philosophy but a gorgeous and unfussy object in its own right.”
Des jolies typos donc. Un papier lisse qui est un plaisir ultime au toucher - le torse parfaitement lisse de Ryan Gosling dans Crazy Stupid Love, ça doit être sympa, mais un beau papier lisse et légèrement mat, je vous promets que c’est une expérience tactile encore plus intéressante. Et même le petit détail de photos disposées non pas pleine page, mais décalées ou à cheval sur deux pages comme dans une mise en page faussement négligée… Tout ces détails contribuent à une expérience de lecture hyper agréable, et ce livre est indéniablement l’un des plus beaux que j’ai tenus entre mes mains depuis que j’ai créé la newsletter. Qu’il ait été publié en 2012 force l’admiration : dix ans après, il pourrait donner une petite leçon de créativité à bien des livres parus récemment.
Les photos du livre sont par ailleurs signées de Jenny Zarins, dont vous pouvez voir le joli travail autour de la cuisine sur son site.
Après le design, le premier élément qui m’a marquée en feuilletant le livre a été le nombre extrêmement réduit d’ingrédients que chaque recette demandait. J’ai compris en lisant l’introduction du début que c’était tout à fait voulu :
“Nous avons une règle, selon laquelle tout plat est prêt à entrer au menu quand en ont été retirés le plus d’ingrédients possibles.” (Après ça, l’auteur cite une phrase de Saint-Exupéry qui vaut son pesant de cacahuètes, mais je laisse les futur(e)s heureux(ses) propriétaires du livre la découvrir ;-) ).
C’aura été d’ailleurs l’un de mes plus grands plaisirs pendant que je cuisinais les recettes de ce livre : celui de combiner simplement quelques ingrédients qui vont parfaitement bien ensemble, et ce pour un résultat inversement proportionnel au nombre d’ingrédients mis dans l’assiette.
Moi qui ai davantage l’habitude de penser en termes d’assaisonnements multiples, avec des listes d’épices et d’herbes longues comme le bras (on en reparlera dans quelques semaines quand je chroniquerai les premiers livres d’Ottolenghi), préparer un cicchetti fenouil grillé et anchois nature a été une petite révélation, voire révolution. Associant “juste” des tranches de fenouil arrosées d’huile d’olive et grillées au four, de l’aneth, des anchois nature et de la fleur de sel, le plat est fabuleux, et a été mon préféré des quatre recettes que j’ai cuisinées du livre.
On dit que les choses simples sont parfois les meilleures. J’imagine que ce cicchetti serait plutôt faussement simple : encore fallait-il penser à la combinaison fenouil-anchois, et puis heureusement qu’on peut se procurer des filets d’anchois tout prêts, surtout quand ils sont aussi délicieux que ceux que j’ai achetés à Eataly ! Mais ce petit plat réalisé en un tour de main, à la saveur puissante et addictive, m’a rappelé à quel point il ne faut parfois pas grand chose dans l’assiette pour obtenir un excellent repas.
D’ailleurs, si vous êtes fin connaisseur de la culture italienne, parler de cicchetti vous aura mis la puce à l’oreille à propos de la thématique régionale du livre : la cuisine vénitienne. Les cicchetti sont des petits plats servis dans des bars typiquement vénitiens, les bàcari. On les déguste traditionnellement debout au comptoir, avec un verre de vin, soit en fin de matinée pour déjeuner, soit comme snack dans l’après-midi - un peu comme les tapas donc, mais version cité des Doges (Cf. Wikipédia pour les curieux).
Ce sont ces bàcari qui ont inspiré le restaurant de l’auteur et par extension ce livre, puisant majoritairement dans le répertoire des spécialités vénitiennes et les menus de divers bàcari de Venise. Moi qui ne connais rien à cette cuisine régionale, c’était la parfaite occasion pour découvrir non seulement des plats s’en inspirant, mais aussi des produits et ingrédients typiques de la région ou plus généralement italiens.
Voilà un troisième aspect positif du livre : de m’avoir permis d’utiliser pour la première fois certains produits, comme le cotechino, le radicchio ou… Le riz carnaroli, car oui, c’était la première fois depuis au moins dix ans que je n’avais pas cuisiné de risotto - d’où le fait aussi que le plat de mon collègue m’ait paru aussi délicieux, au-delà de ses talents de cuisinier ! Et je doute que les quelques rares fois précédentes, je m’étais embêtée à me procurer “le roi des riz”, donc belle découverte que cette variété.
Par ailleurs, tout comme Desserts du Moyen-Orient qui fut l’objet de la précédente newsletter, j’ai été heureuse de voir que quasi toutes les recettes me faisaient envie.
Le livre propose un sommaire certes classique, mais qui brasse large et répond à tous les goûts : viandes, poissons, légumes, desserts, avec en plus un chapitre consacré aux fameux cicchetti et un autre dédié aux pains - comprendre des pizzettas et des bruschettas avec toute une déclinaison de garnitures.
Chaque intitulé de plat interpelle et donne l’eau à la bouche. Certains annoncent une combinaison alléchante de quelques ingrédients : salade de calamars tiède au chou noir et pois chiches ; une salade de betterave, pesto de roquette et noix… D’ailleurs, si vous aimez ces modestes mais merveilleux ingrédients que sont les anchois, le chou, le fenouil, les haricots blancs, les lentilles, vous allez vous régaler avec Polpo.
Prenons l’exemple du fenouil et des graines de fenouil : en plus du fenouil-anchois dont je vous parlais plus haut, le livre propose des boulettes de porc épicé au fenouil, un fenouil, radis et menthe à la ricotta, une salade de beignets de crabes mous et fenouil, et une salade de fenouil, haricots verts, frisée et avelines. Pas mal comme listing pour un légume qu’on ne voit pas souvent dans les livres de cuisine !
D’autres plats se montrent encore plus surprenants, en tout cas pour moi. Par exemple, une baccalà mantecato, une “brandade de morue à la vénitienne”. Je ne l’ai pas réalisée, mais voilà ce que l’auteur nous dit en introduction :
“Le plat est élaboré avec de la morue séchée et salée, mise à tremper, pochée, effilochée, puis infusée avec de l’ail et fouettée en crème avec lente incorporation d’huile d’olive, jusqu’à l’obtention d’une mousse blanche aérienne, iodée, souple et aillée.”
Intrigant, non ?
Et sinon, le livre comprend toutes les bonnes qualités d’un livre de cuisine anglo-saxon. C’est un livre à la personnalité marquée, notamment grâce à la longue introduction en début de livre, où l’auteur revient en détails sur son parcours, son histoire d’amour avec la Cité des Doges et comment il a tenté de ramener l’esprit vénitien à Londres. Les recettes sont recontextualisées, à travers une introduction pour chacune d’entre elles, donnant l’origine du plat ainsi que d’éventuels conseils pour la réalisation. Ces textes sont parfois un tantinet bavard, mais restent agréables à lire dans l’ensemble.
Enfin, les instructions sont succinctes quand les quelques étapes sont simples, un peu plus approfondies quand la recette le demande - et pas forcément là où on l’attend, comme une double-page consacrée à l’art et la manière de cuire traditionnellement la polenta pendant 40 minutes !
***
Bref, Polpo m’a ravie par ses recettes aussi délicieuses que simples à réaliser. Que demander de plus ? C’est d’ailleurs l’un des livres les plus “faciles” que j’ai testés depuis le début de la newsletter.
Et c’est ça qui est génial : contrairement à des livres de soupes ou de quiches par exemple, où les recettes sont certes simples, mais ne vont pas non plus révolutionner nos assiettes, Polpo propose des recettes qui sont non seulement majoritairement faciles à réaliser, mais aussi et surtout sont la promesse de plats vraiment fantastiques pouvant enchanter le quotidien. Une salade de courgettes grillées avec du citron et de la chapelure, une bruschetta fèves, menthe et ricotta : les ingrédients, les techniques, le process sont tous simples… Mais pas besoin d’avoir réalisé ces recettes pour savoir à l’avance qu’elles réjouiront nos papilles.
Certaines saveurs ne seront par contre pas forcément du goût de tous - j’ai réalisé deux recettes assez riches que j’ai beaucoup aimées, mais que mon compagnon allergique à la viande grasse n’a pas supportées, au point, spoiler alert, d’en avoir vomi pour l’une d’entre elles. Le détail de ces mésaventures dans la partie 2 de la newsletter 😄
D’autres plats affichent des notes très traditionnelles qui ne seront également pas forcément très fédérateurs. Par exemple, une langue de bœuf dans de la panure avec du vinaigre balsamique ou une terrine de jarret de porc au persil n’attireront pas tout le monde - je sais que mes camarades de classe en charcuterie signeraient de suite, mais la majorité de mes potes, non 😄 Mais les quelques autres recettes que j’ai cités en exemple montrent à quel point le livre est équilibré, entre des recettes bien riches pour l’hiver et d’autres plus légères pour l’été. Si j’avais testé ce livre quelques mois plus tard, vous auriez eu une chronique bien différente : j’aurais certainement réalisé des recettes plus rafraichissantes et axées légumes, comme des poivrons à la piémontaise et anchois nature, ou une panzanella aux tomates.
Un résumé en 4 bullet points pour les lecteurs pressés ;-)
Des listes d’ingrédients réduites avec notamment des combinaisons de deux-trois ingrédients tombant juste et aux saveurs franches.
Des recettes brossant une large gamme d’émotions, du plat réconfortant d’hiver à des snacks savoureux qu’on rêve de grignoter avec un verre de vin blanc un soir d’été.
Des instructions claires, un peu plus détaillées quand c’est nécessaire, sinon succinctes quand la recette est facile à suivre, ce qui est la majorité des cas.
Et un design juste fou : un livre à la beauté faussement simple qui ravira les amateurs de beaux livres élégants et dépouillés.
Lost in translation
A noter que le sous-titre du livre original est “A Venetian cookbook (of sorts)” - pendant que la traduction française se lance dans un superlatif “Trésors de la cuisine vénitienne”. Ouais bon. Je préfère la VO qui fait un clin d’oeil au parti pris de ce livre qui rend plus hommage à la cuisine vénitienne qu’elle ne la représente, et qui est par ailleurs écrit ni par un italien (!), ni par un chef (!!), mais par un britannique (!!!) passionné, restaurateur de son état. Le livre rend hommage au bàcari également avec plusieurs photos au fil du livre et surtout “un petit guide très subjectif de quelques bars à vin et restaurants à Venise” en fin d’ouvrage.
Les recettes sont donc plutôt des interprétations ou des versions dépouillées de plats vénitiens et italiens. Qu’en disent d’ailleurs les principaux intéressés qui se rendent au restaurant londonien ? D’après son fondateur, la moitié déteste, la moitié adore ! Bref, le restaurant aura au moins eu le mérite de ne pas laisser ses convives italiens indifférents - je vous donne le lien de l’article qui en parle dans la partie 2 de la newsletter.
A tout de suite pour le test des recettes et quelques articles à lire sur l’auteur !
Marjorie
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