[ITW] Conversation avec Marie Caffarel, charcutière et autrice du livre "Le grand manuel du charcutier"
Et des histoires de reconversion.
On vous a transféré cette newsletter ? Abonnez-vous pour recevoir les prochaines !
~ Temps de lecture : 20 min. (ouais, 20 min, carrément ! La prochaine news gratuite sera peut-être dans longtemps, donc vous avez droit à un gros paquet de lecture aujourd’hui 😄)
👋 Et coucou aux nouveaux abonné(e)s qui nous ont rejoint grâce à l’infolettre de Vert Couleur Persil ! Un gros merci à vous et évidemment à Geneviève, par ailleurs autrice de nombreux livres de cuisine, qui a eu la gentillesse de me mentionner dans sa délicieuse newsletter. Et vive l’amitié outre-Atlantique ! 🥰
Et maintenant, rentrons dans le vif du sujet…
J’ai contacté Marie Caffarel pour l’interviewer sur son livre, et finalement… On a surtout discuté de son métier de charcutière. De son passionnant parcours aussi, elle qui a fait des études en sciences humaines et vécu une dizaine d’années en Australie, avant de racheter une charcuterie à Marseille il y a 5 ans.
On a parlé de tout et des petits riens, des joies et des difficultés du métier, de la cuisson parfaite d’un pâté croûte et du plaisir immense d’avoir un nouveau frigo-vitrine. Pendant 2 heures, Marie s’est livrée avec une honnêteté et une générosité extraordinaires.
Bref, j’ai voulu faire une interview, et finalement, j’ai rencontré quelqu’un.
***
Faut dire que je suis Marie depuis très longtemps.
A l’époque, quand j’ai voulu me lancer dans la charcuterie et que mon entourage se demandait à quelle sauce j’allais être bouffée dans ce milieu d’hommes, je me rassurais en me rattrapant à quelques figures féminines découvertes sur Instagram. Emeline Aubry, finaliste au championnat du monde de pâté croûte. Laetitia Visse, dont le travail autour de la viande me fascine toujours. Et puis, il y avait une autre Marseillaise, Marie Caffarel, qui tenait la charcuterie de mes rêves. Sa maison Payany était le genre de boutique où j’aime me réfugier : petite, mais chaleureuse et pleine de bon goût. Elle y produit et vend tout ce que j’aime : de la charcuterie et des plats à emporter, des recettes traditionnelles mêlées à des créations personnelles et inspirées de la culture culinaire locale.
Bon sang, que j’aurais aimé avoir une boutique comme la sienne.
Je vous donne quelques exemples de ses spécialités ? Des artichauts comme une caillette, un pâté-croûte de printemps aux légumes verts ou un pâté au whisky... Ca vous donne envie ? Eh bien, figurez-vous que ces recettes sont dans le livre ! Or, et c’est un des trucs que j’ai rapidement appris en mettant un pied dans le milieu, la vaste majorité des vieux de la vieille gardent jalousement leurs recettes, de peur qu’on leur pique leurs “secrets” de fabrication… Alors quand j’ai demandé à Marie si ça ne lui faisait pas peur, d’avoir rendues publiques plusieurs recettes de sa boutique, voici ce qu’elle m’a répondu :
Non, pas du tout ! Si j’ai des bonnes astuces, je les partage avec plaisir ! Désolée, mais ça, c’est un truc d’hommes. Les nanas ont moins peur de transmettre, comme les grands-mères qui transmettent leurs recettes de génération en génération.
[…] Un de mes lecteurs est restaurateur dans le Centre de la France. Il teste une recette du livre une fois par semaine qu’il sert ensuite à ses clients. Il m’envoie plein de photos, il me pose plein de questions sur Instagram… Il s’éclate, et je trouve ça trop mignon ! Vraiment, je l’adore.
Et j’ai su à sa réponse que j’étais tombée sur quelqu’un de différent.
Mais revenons au livre justement.
Pour être honnête avec vous, je ne suis pas archi fan de la collection des Grands Manuels chez Marabout. Bon, il y a des trucs que j’aime bien quand même. Notamment les chapitres sur les bases, et les explications distillées ci et là. Dans chaque opus, Anne Cazor, une ingénieure en agro-alimentaire et docteure en gastronomie moléculaire, apporte des compléments scientifiques. Et les livres restent très beaux à feuilleter. Donc je comprends très bien que le concept et le format plaisent à des lecteur(ice)s.
Mais je n’arrive pas à être convaincue par certains aspects de la collection. D’abord, les illustrations qui présentent les coupes de plat : c’est utile s’il s’agit de pâtisseries avec des montages et des inserts, ça l’est moins pour une blanquette de veau 🤷♀️ Ensuite, les textes sont écrits de manière ridiculement petite, au vu de la taille des bouquins et de la place que prennent les photos. Résultat : les instructions sont souvent trop courtes, alors que ces livres sont censés nous faire “comprendre, apprendre et maîtriser” des plats et des techniques. Or cela demande plus que quelques lignes de textes tout en bas d’une plâtrée de photos… Donc globalement, les livres peuvent rentrer dans du détail intéressant, mais restent assez en surface.
***
Mais quand j’ai vu l’année dernière que ce Grand manuel du charcutier allait sortir, j’étais quand même contente. Ca me faisait plaisir de voir la charcuterie mise en avant dans une collection qui avait jusque là fait la part belle à des disciplines plus “glamour” comme la pâtisserie ou la chocolaterie. Et la maison d’édition avait choisi pour ce livre une charcutière, qui plus est de la nouvelle génération. Ca, c’était cool.
M : Comment tu es arrivée sur ce projet ?
M.C : Audrey Génin, l’éditrice, m’a découverte sur les réseaux sociaux. Elle aimait bien mon travail. Je pense aussi qu’elle appréciait le fait que je sois une femme, et qui avait fait une reconversion.Elle m’a contactée pendant le confinement en 2020. J’ai mis deux semaines à répondre à son message ! J’étais débordée, mais je me disais aussi que ça ne pouvait pas être un vrai mail, je ne parvenais pas à y croire. Je pensais que c’était une arnaque !
Et puis on s’est eues au téléphone. A un moment, elle m’explique qu’il faudrait venir plusieurs semaines à Paris pour faire les recettes en live et les photos… Et comme je ne comprenais pas pourquoi je devais me déplacer pendant des semaines pour quelques recettes, elle me redit que je serai la seule autrice. J’en suis tombée sur mon canapé ! Je pense que mon cerveau n’avait même pas capté qu’on me proposait à moi, d’écrire toute seule un livre ! Jamais je n’aurais pensé écrire un livre un jour.
***
J’étais donc impatiente de voir le résultat malgré le fait que je n’adhère pas totalement au format. Et au final, j’ai été impressionnée par la qualité du travail fourni dans ce livre - et c’est pour cette raison que j’ai eu envie d’interviewer Marie.
En fait, c’est en lisant attentivement cet opus sur la charcuterie que je me suis rendue compte à quel point le boulot des auteurs et autrices des Grands manuels était compliqué. Ces livres sont finalement à mi-chemin entre :
d’un côté, les livres grand public qui n’expliquent que dalle
et de l’autre, les livres plus tournés vers les professionnel(le)s, qui vous noient dans des explications plus ou moins absconses, et dont on se demande parfois si le niveau de détail ne s’apparente pas à de la branlette intellectuelle 🤷♀️
Cet entre-deux des Grands manuels est presque bâtard : il faut que les recettes fonctionnent, que les lecteur(ice)s comprennent un minimum le comment du pourquoi, mais il n’y a pas non plus beaucoup de place pour rentrer dans le détail.
Je n’ai pas le savoir nécessaire pour juger en cuisine, encore moins en pâtisserie, et je ne l’ai pas forcément des masses en charcuterie. Mais en tant qu’ancienne étudiante, j’ai bien aimé le travail réalisé dans les contraintes de la collection.
J’ai notamment relevé dans le chapitre des “Bases” littéralement des parties de mon cours de technologie charcutière, et des techniques qu’on nous avait maintes fois fait pratiquer. Les différents types de boyaux, désosser et parer une viande, à quoi servent un gratin ou une farce fine, qu’est-ce qu’un marquant, ou la différence entre une saumure en immersion ou à l’aiguille. C’était comme voir mes anciens cours digérés pour le grand public et avec une présentation plus sexy. Comme je l’ai dit à Marie, j’aurais bien aimé avoir son bouquin quand je passais le CAP.
Même si tout n’est pas dit évidemment… Mais c’est sans doute impossible. L’autrice m’a d’ailleurs évoqué ces arbitrages et compromis qu’elle et l’éditrice ont du faire. C’était intéressant de l’entendre témoigner à ce sujet, parce qu’on est souvent frustré en tant que cuisiniers amateurs, de nous retrouver face à des recettes dont on devine qu’elles ne nous disent pas tout.
M : Que retiens-tu de cette expérience ?
M. C : J’ai appris la charcuterie de manière empirique. Donc rédiger ce livre m’aura appris à être plus précise dans les recettes que je transmets à mon équipe. A mieux structurer mes recettes et à mettre davantage de mots sur les process. Je te donne un exemple tout bête : les oignons confits. Pour moi c’est facile, on fait cuire les oignons jusqu’à ce qu’ils soient… Confits, quoi. C’est visuel. Mais comment l’expliquer aux lecteurs ? Du coup, dans le livre, on a précisé le temps de cuisson pour qu’ils arrivent au bon résultat.[…] On a du aussi adapter les recettes et le livre aux amateurs. Par exemple, pour la cuisson des pâtés croûte, je voulais mettre “à température maximale”, mais l’éditrice a préféré donner un chiffre pour que ça soit plus clair : 300 degrés. Et encore, elle m’a dit il n’y a pas longtemps que tous les fours domestiques ne montent pas à cette température, et qu’ils avaient eu des retours de lecteurs à ce sujet, ce que je comprends. Mais je voulais que les gens comprennent qu’il est indispensable de monter à la température la plus haute possible, pour faire un choc thermique, donc on a choisi cette formulation de 300 degrés.
***
Au-delà des recettes de base, j’ai adoré les spécialités proposées dans le livre. C’est un beau mélange entre recettes abordables et plus exigeantes, plats traditionnels et idées plus inattendues. Pour vous donner une idée, vous y retrouverez un pâté andouillette et orange, des chicharrones, des boulettes cochon & poulpe au chorizo, ou encore des alouettes sans tête, une spécialité provençale.
M : Comment as-tu choisi les recettes du livre ?
M.C : Ca a été un gros travail d’échange entre l’éditrice et moi.Au début, je n’avais pas totalement réalisé les contraintes. J’avais proposé 250 recettes très créatives, avec des saveurs encore plus audacieuses, et Marabout m’a tout de suite ramenée sur terre ! Sur les 100 recettes, il fallait qu’il y ait des recettes emblématiques sans revisite. Par exemple, la quiche lorraine, qui n’est pas mon produit préféré. Mais à la demande de l’éditrice, on l’a inclue dans le livre, parce que c’est un plat que beaucoup de gens s’attendent à voir en charcuterie, et aussi parce que ça permettait d’utiliser le lard. C’était d’ailleurs un objectif du livre : les bases abordées au début (comme le lard) doivent ensuite être réintégrées dans les recettes.
A l’inverse, moi j’ai insisté pour que le livre contienne certaines recettes précises. Le cassoulet en est un bon exemple. Pour l’éditrice, le cassoulet ne faisait pas très charcutier. Mais je trouvais cette recette intéressante pour les lecteurs parce qu’elle fait appel à plusieurs techniques charcutières : la saucisse, le confit, etc.
Donc les recettes sont un mélange de recettes traditionnelles et de recettes “à ma sauce”. […]
***
Les photos sont également très sympas, ce qui n’était pas gagné d’avance ! Autant les plats finis de charcuterie sont très photogéniques - il suffit de voir la folie #patecroute sur Instagram. Autant rendre sexy des étapes de confection (dégueulasses) d’un boudin noir… C’est un autre challenge 😅 Donc je tire mon chapeau à Pierre Javelle, le photographe, et à la styliste culinaire, Orathay Souksisavanh !
M : Peux-tu me raconter comme se sont passées les sessions photo ? Et comment vous avez fait pour que le fond blanc des photos soit si propre, alors qu’on est sur du boudin noir et du foie de porc, et non de la pâtisserie toute clean…
M. C : C’était des grosses semaines : on faisait du 7h30-19h/21h du lundi au vendredi ! On a tout condensé en 3 semaines au lieu de 6 normalement, comme je ne pouvais pas m’absenter longtemps de la charcuterie.Avec Pierre Javelle, on était accompagné d’Orathay Souksisavanh pour le stylisme culinaire. Donc c’est elle qui s’occupait des ingrédients, de trouver la vaisselle, etc. Ils étaient tous les deux habitués à faire ce type de photo, donc ils savaient déjà comment photographier les ingrédients et les étapes. Moi, j’ai juste beaucoup insisté sur les photos des gestes. On en a refait plusieurs jusqu’à ce que je sois certaine que les lecteur(ice)s comprendraient.
Et pour répondre à ta question sur le fond blanc, le fond est juste une table blanche. C’est pour ça aussi que les sessions photos étaient très longues, on devait tout le temps nettoyer la table ! […]
M : Du coup, tu as refait toutes les recettes du livre pendant ces sessions ?M. C : Oui ! Tous les plats ont été refaits dans la cuisine du photographe, donc tu peux être sûre que les recettes marchent ! Les outils et ustensiles photographiés sont aussi ceux qu’on a vraiment utilisés pour faire les recettes.
Et puisqu’on parle d’ustensiles, notez que la charcuterie demande un peu de matos : poussoir à saucisses, moule à charnières, mixeur qui mixe à mort et tutti quanti. Mais sans matériel spécifique, vous pourrez à minima faire les pâtés, terrines, farcis, feuilletés et plats traiteur, soit grosso modo la moitié du livre.
En résumé ?
Si vous êtes adeptes des formats de livre à la Grand Manuel, cette édition charcuterie sera très sympa pour mettre votre pied à l’étrier, découvrir des bases et quelques techniques, des plats bien tradis ou des recettes plus contemporaines. Surtout, vous pouvez être rassuré(e)s niveau recettes : vous savez désormais que l’autrice a fait ces recettes avec du matériel ménager, qu’un lecteur les a réussi(e)s, et moi-même j’en ai fait quelques unes qui se sont avérées délicieuses - cf. plus bas. Enfin, que nous trois ? Bien-sûr que non.
M : A part le restaurateur du Centre, as-tu eu d’autres retours de lecteurs et de lectrices ?
M. C : Pas mal de clients particuliers m’ont envoyé des photos de leurs réalisations que j’ai postées sur les réseaux.
Après, beaucoup m’ont dit : “j’aime bien votre livre, mais c’est un peu trop compliqué, alors on continuera à venir chez vous !”. Mais certains m’ont dit qu’ils se lanceront dans la fabrication d’une terrine pour la famille à Noël, parce que c’est simple.J’ai aussi une cliente à Marseille qui est une excellente cuisinière amatrice. Elle vient souvent acheter ses bases en boutique pour faire ses recettes, comme de la viande hachée. Et on en profite pour discuter pâté croûte à chaque fois, je lui donne des conseils… J’adore ces échanges.
Où en est Marie aujourd’hui ?
Marie aura passé près de deux ans à travailler sur le livre ! Elle m’a raconté que c’était pas évident de trouver des créneaux qui matchent dans les plannings de chaque intervenant. Mais elle avait aussi beaucoup de boulot à la charcuterie.
D’ailleurs, où en est-elle aujourd’hui ? Et comment continuer à vendre de la charcuterie à une époque où on consomme de moins en moins de viande ? Voici ce qu’elle m’a dit :
M : Alors, c’est quoi tes projets pour la charcuterie ?
M. C. Comme on fait déjà beaucoup de traiteur, j’aimerais renforcer l’offre de charcuterie. Proposer plus de terrines par exemple. Mais bon, c’est pas la charcuterie qui se vend le plus.M : Le comble quand on y pense, non ? Mais c’est le cas de la plupart des établissements que je connais, le traiteur prend vraiment le pas sur la charcuterie.
M. C : C’est vrai. Nous, on vend environ 60% de traiteur, 30% de charcuterie et 10% de crèmerie. J’ai repris l’affaire en 2019, mais ça reste une vieille charcuterie de quartier. Les gens avaient l’habitude et ont toujours l’habitude de venir chercher leurs petits plats, comme des farcis. Et de plus en plus de personnes viennent acheter leur déjeuner. J’ai une grosse clientèle de salariés avec le tribunal de justice pas loin. Peut-être qu’ils en ont marre des poke bowls (rires) !
M : Comment fais-tu pour équilibrer ton offre entre les attentes de tes clients et tes envies personnelles ?
Déjà, c’est important pour moi de garder des classiques, de proposer des références de la charcuterie : de la macédoine, des pieds de porc en vinaigrette, du céleri rémoulade par exemple.
Mais la différence, c’est que j’essaie de les faire bien. La macédoine, normalement, je trouve ça impinable1 ! Mais la mienne, je peux la manger, parce qu’on cuit les légumes de façon croquante, et que je fais une mayonnaise maison à l’huile d’olive. Ma macédoine n’est pas trop salée, mais bien poivrée. Pour le céleri rémoulade, je n’utilise que des citrons, et non du jus en bouteille. Bref, utiliser des produits frais et de bonne qualité, ça change tout au niveau du goût, et c’est qui rend de nouveau attrayants ces classiques charcutiers.
Je tâche aussi de suivre la saisonnalité. Le premier hiver, ça leur a fait tout bizarre à certains clients, de ne plus avoir d’aubergines et de tomates farcies ! A la place, je propose des champignons, des oignons et des patates farcies… Et c’est beaucoup plus pénible, les clients ne s’en rendent pas compte ! Cuire des patates au four vapeur, ça prend une heure, c’est plus cher. Mais je tiens à ne pas vendre ces farcis d’hiver plus cher. […]
Finalement, il faut être transparent et expliquer. Par exemple, j’utilise du sel nitrité pour mes jambons, et je ne le cache pas à mes clients. Je voulais retirer complètement le sel nitrité comme je l’ai fait pour les pâtés. Mais j’ai fait des tests avec du sel normal, et y’a pas moyen : le jambon blanc est plus sec, moins onctueux, et c’est juste pas le même goût de jambon. Mais au moins, j’utilise seulement un tiers de la quantité que mettent d’autres charcutiers.
M : Là, on parle de sel nitrité, de saisonnalité, qui sont des sujets importants. Mais sinon, plus globalement, ça ne te fait pas peur, que les gens mangent moins de viande ?
Franchement non. J’ai même des clients végétariens !
Personnellement, j’aime bien manger la viande de façon festive, sur une grande table avec plein de monde. On n’a pas pu le mettre dans le livre, mais j’aime bien promouvoir cette démarche-là. Je trouve qu’il faut honorer la viande. C’est pourquoi on achète des demi-carcasses qu’on travaille de la tête aux pieds. Déjà parce que c’est moins cher, c’est vrai. Mais aussi parce que ça nous permet d’en tirer le maximum.
Et puis, j’adore manger et travailler les légumes. Certains de mes clients n’achètent jamais de gros morceaux de viande ou de la charcuterie pure et dure, mais par exemple deux tranches de lard pour rehausser leur plat. C’est une approche que je trouve intéressante.
Pour finir, c’était quoi cette histoire de frigo-vitrine ?
C’est l’histoire d’une artisane, qui comme tout artisan, ne passe pas uniquement ses journées à faire des trucs qui font rêver comme veulent nous faire croire tous les articles de cadres sup’ qui sont devenus boulangers. Son quotidien est aussi fait de matos à améliorer, d’équipes à former et de paperasserie administrative. Etre artisan(e), c’est aussi être content(e) d’avoir un équipement flambant neuf, comme un frigo-vitrine.
C’était cool d’écouter Marie parler charcuterie pure et dure, mais franchement, quand elle m’a raconté qu’elle s’était faite construire une chambre froide sur mesure, j’étais grave contente pour elle. Ne pas avoir à faire du Tetris avec sa marchandise dans des chambres froides riquiqui, vous n’imaginez même pas le bonheur - mais je suis sûre que si vous avez travaillé dans la bouffe, vous savez de quoi je parle 😅
N’empêche. On va quand même terminer sur une note de charcuterie pure et dure :
M. : Marie, je ne t’ai pas encore demandé le produit que tu aimes le plus fabriquer ?
Je trouve le pâté croûte passionnant. C’est toujours un challenge, t’as toujours un truc à apprendre ou à faire attention, comme l’effet des conditions atmosphériques sur la pâte. Au niveau du moulage, t’as l’impression que t’as fait 5 pâtés croûte pareils, et puis t’en as un qui ouvre à la cuisson ! Tu comprends pas pourquoi, faut chercher l’explication…
J’adore les saucisses aussi. Au début, c’est dur, faut acquérir de la vitesse en ayant l’expertise des mains. Mais quand tu sais, ça en devient presque reposant, c’est presque méditatif.
Epilogue
Au moment où j’ai interviewé Marie, on était début juillet. J’avais raccroché mon tablier de charcutière depuis plusieurs mois déjà, j’avais signé mon contrat d’alternance avec le cabinet comptable, et je m’apprêtais à passer mon été entre du droit fiscal et des taux de TVA.
Mais c’était aussi le moment où les résultats du CAP 2023 tombaient. J’étais ravie pour Arnaud qui avait obtenu son CAP charcuterie avec brio, et qui allait continuer à travailler à la ferme où il avait fait son stage. Un lecteur - qui se reconnaîtra j’espère ! - avait aussi obtenu son CAP cuisine en candidat libre, et cherchait comment continuer à apprendre les prochaines années.
Magali avait ouvert quelques mois plus tôt sa charcuterie à Toulouse. La première fois qu’on s’était parlé il y a plus de 2 ans, elle faisait encore des pâtés en croûte dans un labo en location. J’étais profondément heureuse pour elle qu’elle ait enfin sa boutique à elle après toutes ces années de sacrifice.
Entre toutes ces bonnes nouvelles et cette phrase de Marie sur les saucisses, j’ai été prise d’un brin de nostalgie.
***
Moi aussi, j’adorais les saucisses. C’était un de mes trucs préférés en charcuterie. Je me souviens même que lors d’un trajet en voiture vers Cologne, j’avais failli faire un gros détour par Bruxelles pour passer commande chez Sauciss.es avant de capituler devant la complexité logistique.
Alors, j’ai eu envie de refaire des saucisses pour la première fois depuis des mois.
J’ai sélectionné trois recettes du livre : saucisses aux herbes (p 116), saucisses veau, citron & coriandre (p 109) et des merguez (p 121). De gentils bouchers du 13e m’ont mis un petit morceau de boyau dans une boîte en plastique. J’ai ressorti mon hachoir. Et pour la première fois depuis longtemps, j’ai embossé des saucisses.
J’avais évidemment perdu le coup de main - l’ai-je jamais vraiment eu ? Mais une fois passée la galère de la première brasse, ça m’est revenu, comme le vélo. Et finalement, elles étaient pas si moches que ça mes saucisses.
Et bon sang que c’était bon. Il y a des plats comme ça, quand vous les faites chez vous vs. ce que vous achetez dans un supermarché random, c’est le jour et la nuit. Je salive encore en repensant à la saveur de ces saucisses.
Pour les accompagner, j’ai fait du houmous au citron, un taboulé et un gratin de pommes de terre - patates douces à la Ottolenghi. On s’est régalé de fou. Et l’espace d’un instant, en contemplant l’oeuvre de mes mains, en voyant mes proches manger avec plaisir, je me suis souvenue pourquoi j’avais voulu me lancer là-dedans.
***
Mais en discutant avec Marie, je me suis rappelée aussi ce que c’était, que de vouloir devenir un(e) artisan(e) dans le monde de la bouffe.
C’était être capable d’encaisser des trucs que la plupart des gens ne s’imagine même pas. De surmonter des conneries du quotidien et des conneries du milieu, comme le fait de faire bosser des gens de 5h à 22h, 5 jours sur 7, alors même qu’ils manipulent des machines qui vous couperont une main à la première seconde de fatigue. C’est voir des jeunes vieillir deux fois plus vite que la normale, et oser dire que ce “rite de passage” est le cours normal des choses.
Mais être artisan(e), c’est aussi croire en son rôle, en sa place, et savoir aller là où on peut faire la différence. Marie peut être fière du chemin parcouru. J’ai entendu dans sa voix sa fierté quand elle parle de son équipe de meufs, de son apprentie qui a réussi le BP ou de “la petite dernière qui fait les jambons comme personne”. C’est pour moi la plus belle récompense de l’entrepreneur(e) : quand il/elle fait du bien aux autres, qu’ils soient clients, fournisseurs, partenaires ou salariés.
Moi aussi, j’ai envie d’avoir ma place. Je sais que j’en ai une, ici, lorsque je raconte par exemple l’histoire de Marie. Et un jour peut-être, je serai dans l’ombre, aux côtés d’autres comme elle qui ont réussi à surmonter toutes les conneries qu’on leur a balancées sur leur chemin, et qui s’efforcent d’exercer leur métier de manière vertueuse. Et là aussi, j’espère, sera ma place. Alors merci la charcuterie, de m’y avoir amenée sans le vouloir.
Pour en savoir plus
N’hésitez évidemment pas à découvrir le travail de Marie Caffarel et de la maison Payany sur son Instagram. Vous pouvez également lire cet article sur son parcours sur Le Grand Pastis - magique, ce nom de publication, quand on n’est pas du coin 😄
Marie, encore merci du fond du coeur pour ta disponibilité et de t’être prêtée à cette interview. Peut-être qu’un jour je viendrai (pour la première fois !) à Marseille goûter tes créations et te rencontrer pour de vrai :)
*Notre conversation a été éditée pour plus de lisibilité, et aussi parce que sinon, cette newsletter aurait duré 45 minutes de lecture et que 20 minutes, c’est déjà bien assez long 😅
Infos du livre
Le grand manuel du charcutier - qui aurait du s’appeler Le grand manuel de la charcutière ;-)
288 pages | Octobre 2022 | ISBN 978-2501166041 | 35 euros
🛒 Leslibraires.fr
Le mot de la fin
J’espère que cette newsletter-fleuve vous a plu !
Je retrouve les abonné(e)s payants la semaine prochaine pour une newsletter bonus, où je partagerai et décortiquerai avec vous la recette de pâté au whisky du livre ! Désolée d’avance les végés, on va parler gorge de porc et gras dur… Même chez les omnivores, à mon avis y’en a pas beaucoup qui sont capables de manipuler du foie de porc, alors pour les personnes dégoutées de la viande, ça va être horrible de lire un truc pareil, j’avoue. Donc si vous voulez, faites-moi signe, et je vous rallongerai gratuitement une news payante supplémentaire 🙂
D’ici là, amusez-vous bien en cuisine et prenez soin de vous !
Des bises,
Marjorie
Ps. Et vous connaissez le topo : si vous avez aimé cette newsletter, un petit coeur et un partage, ça fait toujours plaisir !
Ps.2 N’oubliez pas que vous vous pouvez parrainer des gens pour obtenir gratos des mois d’abonnement à la version payante !
Pour l’anecdote, je n’avais pas compris, et Marie a ri en m’expliquant cette expression locale 😄
J'en reviens pas de découvrir seulement maintenant qu'on dit pâté croute (et non en croute !!!). Magnifique édition, merci, elle m'a beaucoup appris et émue (sur la question de la place, mais la tienne est incontestable !!)