[Interview] Marion, comment c'est d'écrire et publier son premier livre de cuisine ?
Une interview de Marion Thillou, autrice du livre Comment j'ai dégusté mon gâteau aux éditions First
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Hello à tous et à toutes !
Je suis ravie de partager avec vous une nouvelle interview ! La première était consacrée à une lectrice, Laura. Et aujourd'hui, on traverse toute la chaîne du livre pour passer du côté autrice, puisque c'est Marion Thillou, l'autrice de Comment j'ai dégusté mon gâteau, qui a eu la gentillesse de répondre à mes questions.
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Vous savez combien j'aime me mettre des bâtons dans les roues en cuisinant des trucs qui au mieux, ne me parlent pas, au pire me cassent les pieds, notamment la bougre d'ectoplasme à roulettes qu'est la pâtisserie 😅
Une nana qui s'énerve quand elle fait des gâteaux : ne suis-je donc pas merveilleusement bien placée pour parler d'un livre qui s'adresse aux ultra-méga-passionné(e)s des dits gâteaux ? 😅
Plus sérieusement, je me suis dit que ce serait cool de vous parler de ce livre, justement parce que vous aurez le point de vue de quelqu'un qui n'est pas forcément dans son public cible.
Et j'ai rapidement eu envie d'interviewer Marion, déjà parce qu'elle était super sympa (la base). Et aussi parce que je trouvais ça intéressant qu'elle partage son expérience sur la publication de son premier livre, alors qu'elle ne vient pas du tout du milieu de l'édition. Elle avait donc forcément un regard frais sur le sujet.
Dans l'interview, elle nous raconte ainsi les coulisses de la publication de son livre, comment elle et le chef pâtissier Matthieu Dalmais ont sélectionné et travaillé les recettes. Sans oublier de répondre à la fameuse question du : "Tu crois que les gens font vraiment les recettes ?" 😅
Vous découvrirez ainsi toute la réflexion qu'il y a eu derrière le choix de chaque gâteau, qu'on ne peut pas forcément inclure la recette qu'on veut si on fait le choix de respecter la saisonnalité des produits, et comment les détails en disent parfois long, qu'il s'agisse du format du livre ou de floquer ou non une forêt noire...
Et enfin, la dernière raison pour laquelle j'ai eu envie de partager avec vous Comment j'ai dégusté mon gâteau est qu'il n'est pas un livre de recettes classique.
Quelques mots sur Marion Thillou et Comment j'ai dégusté mon gâteau
Marion a travaillé pendant 15 ans dans le commerce et le marketing avant de se lancer dans l'aventure de l'entrepreneuriat il y a 3 ans, en créant Honoré vous guide. L'idée ? Des "parcours de dégustation" où elle emmène ses client(e)s à la découvertes de pâtisseries dans Paris, avec dégustation de gâteaux et rencontres de professionnel(le)s.
En parallèle de ces visites, elle a développé le concept de pâtissologie, une grille d'analyse de la pâtisserie inspirée de l'œnologie :
Quand j’ai commencé à organiser les visites, j’ai réfléchi à comment déguster. La dégustation du vin par exemple, c’est un art. Je souhaitais qu’on puisse faire la même chose en pâtisserie. C’est comme ça que j’ai créé en parallèle le concept de Pâtissologie [...].
Ce concept s’articule autour des cinq sens pour que la personne, lorsqu’elle déguste un gâteau, prenne le temps et se puisse se poser certaines questions. "La Pâtissologie invite les individus à découvrir de nouvelles pâtisseries, à prendre le temps de se faire plaisir, de goûter, de sentir, de toucher, d’admirer, mais aussi d’écouter la pâtisserie qu’ils dégustent ou qu’ils réalisent eux-mêmes". (source)
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Le livre a permis à Marion de creuser encore davantage ce concept de pâtissologie, en déclinant son référentiel de dégustation sur 20 pâtisseries emblématiques : religieuse, tarte au citron meringuée, pavlova...
Ainsi, pour chacun de ces gâteaux, l'autrice commence par partager l'histoire de ce dernier et le cérémonial pour le déguster. L'analyse sensorielle de Marion ainsi qu'une grille de 2 pages décortiquent en profondeur la dégustation, permettant de mettre des mots sur nos sensations à toutes les étapes, entre le moment où on découvre le gâteau, on y plonge sa cuillère et où on prend une première bouchée. Puis vient évidemment la recette.
Voici un exemple de chapitre avec le Paris-Brest, qui est aussi le gâteau préféré de l'autrice :)
Je donnerai mon avis sur le livre plus en détail à la fin de la newsletter, mais voilà, vous avez grosso modo une idée de son approche toute particulière.
Maintenant que vous en savez plus sur le livre, la parole est à Marion !
*Notre conversation a été éditée pour plus de clarté.
L'interview de Marion Thillou
Commençons par le début... Comment as-tu eu l'idée d'écrire un livre ?
C’est pendant le deuxième confinement, en automne 2020, que j’ai eu l’idée du livre.
A l'époque, je ne sais pas si tu te souviens, on n'avait le droit de sortir dehors que sur un rayon d'1 km, donc régulièrement j'allais courir dans mon petit périmètre comme un hamster 😄 Mais j'écoute aussi beaucoup de podcasts quand je cours, et souvent des idées de projets me viennent pendant ces moments d'écoute - d'ailleurs, c'est également un podcast qui m'a inspiré mon entreprise de pâtissologie il y a 4 ans !
Mais pour revenir au livre, ce jour-là, j'écoutais un épisode des Nouveaux Toqués, un podcast qui interviewe des gens issus de la gastronomie. L'épisode était consacré à Victoire Loup qui a écrit Cuites et A la maison. Elle y expliquait l’autoédition, pourquoi elle avait écrit ces livres…
C'est en écoutant son témoignage que je me suis dis que je pourrais aussi écrire un livre, et plus précisément un précis de pâtissologie. Etant ingénieure de formation, le terme “précis” me parlait beaucoup : quand j’étais étudiante, j’avais des précis de thermodynamique, de chimie organique... Alors pourquoi pas un précis pour la pâtisserie ? C'est comme ça que l'idée a commencé à germer dans ma tête.
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Et comment en es-tu venue à travailler avec la maison d'édition First pour ton livre ?
Simplement parce que je crois qu'il ne faut jamais garder ses projets secrets, en ayant peur de se les faire piquer. Au contraire, il faut parler de ses idées autour de soi le plus possible, parce qu'on ne sait jamais ce que ça peut donner !
Et c'est ce qu'il s'est passé. J'ai contacté une amie, qui je savais travaillait dans l'édition, mais sans savoir quel poste elle avait exactement. Nous sommes voisines à la base, et je ne sais pas si pour toi c'est pareil, mais parfois, quand tu rencontres des gens dans un autre cadre que le boulot, tu ne sais pas exactement ce qu'ils font comme job. Par exemple, j'ai une autre copine qui travaille dans la banque, mais ce qu'elle fait au quotidien, je n'en ai aucune idée.
Donc j'invite Marie-Anne, cette amie, à boire un café à la maison. Elle m'explique quelles sont les différentes possibilités pour publier un livre, entre l'édition classique et l'autoédition. Et je lui raconte mon idée de livre, de faire découvrir la pâtissologie à travers le prisme des 5 sens et en illustrant le concept par des recettes de gâteaux.
Et voilà, notre rendez-vous se termine. Je la remercie, mais là... Elle m'arrête et me dit : "mais moi, il m'intéresse ton livre !". Et j'apprends dans la foulée qu'elle est la directrice éditoriale de First ! Je me souviens qu'avec mon mari, on s'était regardé en mode "attends... Il se passe un truc, non ?" C'était fou !
Et c'est comme ça que ça a commencé et que j'ai eu la chance de pouvoir rentrer dans un circuit d'édition classique.
J'ai ensuite échangé avec Rose-Marie Di Domenico, la responsable éditoriale spécialisée cuisine chez First. C'est elle qui a validé le projet, à peu près un an avant la sortie du livre.
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Quelles ont été les grandes étapes après ça ?
Après ces premiers échanges, j'ai surtout travaillé avec Marie-Anne Jost-Kotik et Rose-Marie Di Domenico donc, mais aussi Cédric Le Brun, à l'édition.
Lors d'une des toutes premières réunions pour établir mon contrat, ils m’ont expliqué qu'ils avaient besoin d’estimer la taille et le volume du livre. Cela leur permettrait de faire un chiffrage du budget du livre, et donc de me faire une proposition de prix de vente et de rémunération. Les deux premières choses qu'ils m'ont demandé d'écrire ont donc été un synopsis du livre et un premier chapitre, pour jauger le volume.
C'est ainsi que le premier chapitre que j'ai écrit, à la toute fin 2020, est celui consacré au Paris-Brest, qui est mon gâteau préféré et celui où j'avais le plus d'inspiration.
On a aussi commencé à discuter des différents éléments dans les chapitres. Certains sont restés, comme la grille d'analyse de pâtissologie pour chaque gâteau. Et d'autres n'ont finalement pas été retenus, comme un moodboard, qui devait associer les gâteaux avec des matières, des musiques...
C'est grâce à tous ces éléments qu'ils ont déterminé que le livre ferait 192 pages, qu'ils ont pu fixer mon contrat, et après ça la grande machine de l'édition s'est mise en route !
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On a fait ensemble le chemin de fer, puis j'ai écrit par morceaux le manuscrit en 5 mois. En parallèle de mon travail d'écriture, Matthieu, le chef pâtissier, avançait de son côté sur les gâteaux du livre. Donc des fois, j’ai écrit le chapitre et le gâteau est sorti après, ou au contraire, les créations de Matthieu sur certains gâteaux ont influencé ma rédaction du chapitre en question.
Je me rappelle que le dernier mois avant de rendre le manuscrit, j'étais vraiment à fond sur l'écriture du livre. Ca me prenait 90% de mon temps, alors que j'avais créé il y a quelques mois à peine ma boîte, donc j'ai du tout mener de front ! Mais finalement j'ai pu rendre mon manuscrit à temps à la mi-mai.
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Je n'avais jusqu'alors pas encore rencontré physiquement les équipes, Covid oblige ! On avait "juste" échangé via des dizaines et des dizaines de mails 😄 Mais je suis venue pour la première fois dans les locaux de la maison d'édition le 20 mai, pour choisir le papier.
Après avoir rendu mon manuscrit, il y a encore eu plusieurs étapes avant la sortie du livre en octobre : la relecture et la correction de copie, la première mise en page et la première maquette, une nouvelle relecture complète de First et de moi. Puis il y a eu le choix de la couverture et un dernier shooting photo. Enfin, on a validé la maquette finale à la mi-août, et c'est parti en impression.
Figure-toi d'ailleurs que la première maquette faisait 240 pages, alors que le livre était censé en faire 50 de moins ! Mais aucun texte n'a été supprimé. Ce sont les personnes à la maquette qui ont réussi à tout faire rentrer sur le bon nombre de pages en coupant ou supprimant des photos. C'est d'ailleurs pour ça que les remerciements sont bizarrement au début, il n'y avait plus de place pour leur consacrer une page à la fin !
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Comment vous est venue l'idée du format, pas très grand, carré, assez souple, et qui finalement n'est pas très commun dans l'édition culinaire ?
Même si je savais que tous les lecteurs n'allaient pas forcément faire les recettes, je voulais quand même qu'il soit possible de pâtisser avec le livre. Par exemple, j'ai le bouquin de Ferrandi qui est très bien, mais franchement, qui peut mettre ça sur son plan de travail ? Il est énorme, il pèse 5 kilos... Ce sont de super beaux objets, mais on ne peut pas vraiment pâtisser avec, je trouve.
Du coup, je tenais à ce qu'il soit possible d'utiliser le mien. Le nombre de pages y participe, mais c'est aussi pour ça qu'on a choisi cette reliure assez souple qui permet de garder le livre ouvert, ainsi que ce format, qui fait que le livre ne prend pas trop de place si tu le poses sur ton plan de travail.
Parlons maintenant des bonnes choses 😄 Comment as-tu choisi les pâtisseries du livre, et comment avez-vous collaboré ensemble, Matthieu Dalmais et toi ?
Au moment du livre, Matthieu Dalmais et moi on commençait à bien se connaître, on était devenus amis. On s'était rencontré grâce aux parcours de dégustations, et pendant le confinement, on avait lancé ensemble des cours de pâtisserie en visio qui avaient bien marché. C'est ainsi que naturellement, je lui ai proposé de faire partie de l'aventure du livre.
Quant aux gâteaux, dès le synopsis je savais quelles recettes j'avais envie d'inclure dans le livre.
Déjà, les pâtisseries choisies devaient toutes illustrer un sens en particulier. Le croissant pour l'odorat et ces bonnes odeurs de viennoiserie, le mille-feuille pour l'ouïe et les bruits de la découpe, le baba pour le toucher et le jeu de texture entre le solide et le liquide...
L'illustration des sens était donc vraiment le critère principal. Mais au-delà de ça, Matthieu et moi souhaitions qu'il y ait un peu de tout. La seule chose qui manque dans le livre, ce sont des biscuits. Mais sinon, il y a de la viennoiserie, un cake, des monuments de la pâtisserie comme le mille-feuille ou le fraisier... Toujours dans cette idée de variété, on voulait aussi qu'il y ait un équilibre entre les fruits et le chocolat par exemple.
On a également voulu respecter les saisons. J'aurais adoré par exemple que la recette de baba soit accompagnée de mirabelles : le baba et les mirabelles sont de Lorraine, dont je suis également originaire, donc c'aurait été un joli clin d'oeil, en plus de la saveur de ce fruit que j'adore. Mais comme le livre a été rédigé entre janvier et mai, ça n'a pas pu se faire comme ce n'était pas encore la saison.
Mais finalement, je me suis quand même largement fait plaisir en ne choisissant que des gâteaux que j'aime ! C'est pour ça que le livre comprend plusieurs recettes de pâte à choux, comme j'adore ça : la religieuse, le saint-honoré...
Je dois t'avouer que je ne suis pas très fan des desserts qu'ils font dans Le Meilleur Pâtissier par exemple, tous ces trucs compliqués à base de montage inversé dans un moule... Matthieu et moi on aime plutôt les gâteaux simples, pas tarabiscotés. De la simplicité bien exécutée en somme.
Je pense par exemple à un flan matcha que j'ai mangé récemment qui était délicieux. Un flan matcha, c'est simple sur le papier, mais si tu réussis sa texture et à mettre en valeur la saveur unique du flan... Pour moi, c'est l'essentiel. Et c'est ce style de pâtisserie qu'on a cherché à mettre en valeur dans le livre.
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Et comment avez-vous travaillé ensemble chaque recette ?
Donc à partir de tous ces critères, Matthieu et moi on a passé en revue chaque pâtisserie que j'avais en tête pour les valider. Par exemple, je lui demandais : est-ce que pour toi, le cake marbré et la tarte tatin sont de bonnes recettes pour illustrer l'odorat, est-ce que le baba ou le flan pâtissier te parle pour le chapitre sur le toucher, etc. Cette classification que j'avais faite était, après tout, très personnelle. On peut ne pas être d'accord avec. Donc c'était important de confronter mes idées avec le ressenti de Matthieu.
A partir de là, on validait également ensemble l'orientation de la recette. Je voulais notamment que les sens en question soient exacerbés dans chaque recette. Toujours sur l'exemple du croissant et de la tarte tatin, j'ai voulu ajouter de la fève tonka au premier et des épices chai au second pour renforcer le côté odeur, en plus des effluves de beurre ou de pommes confites.
Une fois qu'on a été d'accord sur la liste des recettes et leurs saveurs, Matthieu a travaillé les recettes de son côté, puis quand c'était prêt, il me faisait signe et je venais les goûter !
C'est lors de ces moments de dégustation qu'on a retravaillé plusieurs recettes, pas seulement sur les saveurs, mais aussi sur le visuel. Pour te donner un exemple, au début il avait entièrement floqué la forêt noire, alors que je voulais qu’on puisse voir les différents étages et surtout les trois couleurs emblématiques de ce gâteau, à savoir le marron, le blanc et le rouge. Pourquoi ? Parce que c'est lié à l’histoire de la forêt noire : la légende veut que ces trois couleurs rendent hommage au costume des jeunes filles célibataires de Forêt-Noire. Du coup, je lui ai demandé de réadapter le gâteau pour qu'on voit bien ces couleurs à la tranche.
Enfin, c'est Matthieu qui a rédigé les recettes, que j'ai relues, puis que l'équipe de First a relues également.
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Est-ce que des recettes vous ont posé des difficultés ?
Une bonne partie des gâteaux étaient des recettes que Matthieu connaissait bien. Ce sont des recettes de son répertoire personnel, ou qu'il faisait à Boulom, où il travaillait à l'époque. C'est le cas de l'opéra et du saint-honoré par exemple. Certaines recettes du livre, comme le cake marbré, sont d'ailleurs toujours servies dans la boulangerie-pâtisserie qu'il a co-fondée il y a peu !
Pour d'autres recettes, il a juste du les réajuster un peu, notamment quand on décidait de changer de la présentation classique. C'est le cas des babas, qui sont sous forme de bouchons dans le livre.
Et puis d'autres pâtisseries sont vraiment des premières, des créations pour le livre. Par exemple, pour le fraisier au mélilot, l'usage de cette plante nous a été suggéré par un ami, Samir, qui source des épices et des aromates français. Le premier essai n'était vraiment pas bon, parce que lui et Matthieu s'étaient mal compris sur le dosage ! Et finalement, la deuxième version a été la bonne, avec une saveur végétale qui allait très bien avec le côté printanier des fraises.
Et est-ce qu'il y a des recettes sur lesquelles vous n'étiez pas d'accord ?
Je me suis beaucoup laissée guider par First, notamment pour la conceptualisation du livre. Par exemple, ce sont eux qui ont trouvé le titre du livre, Comment j'ai dégusté mon gâteau. "Précis" et "pâtissologie" leur semblaient trop intimidants, c'est pourquoi ce dernier est mentionné non pas dans le titre, mais au verso du livre. Par contre, j'avais beaucoup de liberté sur l'écriture des chapitres et le choix des recettes justement.
Il y en a juste une où je me suis battue pour l'inclure : c'est la mousse au chocolat. Cette recette me tenait beaucoup à coeur pour illustrer l'ouïe. Comme je l'explique dans le livre, quand tu plonges ta cuillère dans une mousse au chocolat, ça fait le même bruit que des pas dans la neige, ce petit "crrr crrr" que j'adore depuis mon enfance.
Mais First trouvait que la mousse au chocolat n'était pas vraiment une pâtisserie, donc on a eu plusieurs aller-retour sur le sujet ! Puis heureusement, un collaborateur de Matthieu a eu l'idée de faire une coque, comme c'était à l’époque de Pâques et qu'ils faisaient pas mal de moulages en boutique. Ca a donné l'entremets mousse au chocolat du livre, qui n'est finalement rien d'autre qu'une mousse posée dans une coque en chocolat, mais voilà, ça faisait déjà plus pâtisserie ! 😄 Et finalement, cette recette était encore mieux que celle que j'avais en tête au départ, comme le son produit lorsque tu fais craquer la coque renforce le sens de l'ouïe dans ce dessert.
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Et comment ça s'est passé pour les photos ?
Pour photographier les 20 gâteaux, on a disposé de 4 journées photo avec minimum une semaine d’écart entre deux shootings, parfois plus selon les disponibilités des uns des autres.
Matthieu assemblait, cuisait et finissait les gateaux dès 4h du matin dans le restaurant où il travaillait à l'époque. Je venais le chercher vers 8h30-9h avec les gâteaux, pour nous rendre au studio de David Japy le photographe. Nous étions également accompagnés de Garlone Bardel pour le stylisme culinaire.
Avec l'équipe de First, on voulait que le produit soit au centre de tout sur les photos, pour exacerber le travail sur les sens. D'où le fait qu'on ait travaillé avec David Japy, qui fait notamment beaucoup de photos très proches, où tu rentres vraiment dans le produit.
On a ainsi également fait le choix de ne pas mettre de vaisselle pour renforcer l'accent sur les gâteaux. Donc Garlone venait avec de grandes feuilles de Canson, puis on cherchait quel ton de couleur mettrait en valeur le gâteau de Matthieu. Son travail de styliste culinaire a aussi consisté à décider comment disposer les gâteaux, mais aussi de dire quelles miettes on garde ou non ! Par exemple, sur cette photo de mille-feuille, elle venait avec sa petite pince pour enlever ou remettre des miettes à tel ou tel endroit. C'est te dire le niveau de détail !
Pour en revenir aux pâtisseries, tu parles de "simplicité bien exécutée", mais un bon nombre des recettes du livre sont assez exigeantes. Comment as-tu déterminé le degré de difficulté des recettes ?
Je vais te raconter une anecdote. Matthieu m’a un jour dit, alors que je lui demandais une énième fois de plus de rendre les recettes plus accessibles : “C’est bon, c’est pas non plus un livre de gâteau au yaourt” 😅 Ce qui est vrai ! Tu ne peux pas illustrer certains sens sans passer par des pâtisseries qui demandent un peu de travail. Je parle notamment de l'importance du visuel en pâtisserie dans le chapitre sur la vue, et seuls des desserts impressionnants comme l'opéra, avec tout le travail créatif autour du pochage de la crème, les différentes couches, le décor en Mikado, permettent d'illustrer mon propos.
Ca ne veut pas dire non plus qu'on n'a mis que des recettes très compliquées dans le livre ! On voulait qu'il y ait quand même un peu des deux : des recettes facilement réalisables et d'autres qui donneraient un peu plus de challenge à ceux et celles qui voudraient en avoir.
Tout le long de la rédaction, j'ai en quelque sorte servi de filtre par rapport aux recettes de Matthieu. Même si je n'ai pas fait toutes les recettes de A à Z, j'en ai réalisé des parties, comme la pâte feuilletée inversée ou la ganache vanille. Et je lui disais quand je trouvais les recettes trop compliquées ou des ingrédients trop pénibles à trouver. Par exemple, "15 g de trémoline", ça ne rend pas le livre accessible !
(Nota Bene : la recette de fraisier page 158 indique effectivement "15 g de trémoline (sucre inverti) ou de miel d'acacia")
Sinon, on avait abordé plusieurs recettes du livre dans nos cours en visio : donc on sait que ces recettes sont faisables comme nos élèves ont réussi à les faire chez eux avec nous. C'est le cas de la pavlova, du cake marbré et même de la tarte au citron meringuée, qui parait compliquée sur le papier, mais ne l'est pas tant que ça au final.
Et à l'inverse, certaines recettes du livre sont dures ! Comme le saint-honoré par exemple.
Donc finalement, tu es à l'aise avec l'idée que des gens ne cuisinent pas forcément ton livre ?
Oui, parce que déjà c'est ce que moi je fais avec mes livres de cuisine ! J’ai des centaines de livres de patisserie que j'aime lire et feuilleter, mais j'avoue, je fais tout le temps les mêmes recettes des mêmes livres... Par exemple, dans le Christophe Felder, je ne fais que les 3 mêmes recettes ! Au final, j'aime surtout l'objet, et ça me va si d'autres ont la même approche avec mon livre.
Et puis soyons honnêtes, on sait que les gens n’ont pas attendu mon bouquin pour avoir une recette de macaron ! C'est aussi pour ça qu'on ne l'a pas super détaillée non plus, parce qu'on s'est dit que les lecteurs et lectrices ont sans doute leur propre recette de macaron favorite, et pourront simplement s'inspirer de la nôtre pour les saveurs.
Même si on a conçu le livre pour qu'il puisse être pâtissé, comme je te le disais plus tôt, il est aussi et surtout fait pour être lu, comme il y a beaucoup de texte dedans. Il est composé à peu près de 50% de texte, 50% de recette. Evangélisation est peut-être un mot fort, mais finalement j'espère vraiment que ce que je raconte sur le concept de pâtissologie touchera les gens et nourrira leur relation personnelle avec la pâtisserie.
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Qu'est-ce qui t'a le plus étonnée pendant le processus de création du livre ?
Le fait que publier un livre, c'est quelque chose qui relève à la fois de l’industrie et de l'artisanat. D'un côté, ce sont des grosses machines, d'énormes équipes qui sortent plein de livres chaque année... Mais en même temps, chaque livre est différent, chaque titre est un modèle unique. Je trouve que cette démarche relève presque de l'artisanat. Et ce n'est pas anodin que ces projets d'édition rassemblent des gens qui sont finalement plus proches de l'artisanat que de l'industrie : des cuisinier(e)s et des pâtissier(e)s, des photographes, des illustrateur(rice)s...
J'ai adoré avoir autant d'interlocuteurs et d'interlocutrices. Je t'ai parlé de Matthieu, de Marie-Anne, Rose-Marie et Cédric, de David Japy et Garlone Bardel... Mais on a aussi travaillé avec Cécile Huang pour les illustrations, dont j'admirais le travail depuis longtemps et que j'ai choisie pour illustrer le livre. Quand j'avais fini un chapitre, la maison d'édition lui envoyait mon texte, et c'était fascinant de voir comment elle retranscrivait en image mes mots en images. J'étais vraiment surprise par certaines de ses interprétations !
Il y a aussi les personnes à la correction et la relecture, qui te proposent des petites reformulations pour améliorer ton texte ; l'agence qui s'est occupée de la maquette, et avec qui j'avais pu choisir les typos. C'était formidable de voir le processus éditorial et les différentes personnes impliquées.
Le pire c'est que même si on était dix mille à relire le manuscrit 15 000 fois, je ne te le cache pas, il y a quand même des coquilles dans le livre ! Notamment, dans la recette de cake marbré, nulle part on indique à quel moment on met le beurre dans l'appareil... Ca rend dingue, surtout quand on déteste les fautes comme moi !
Mais finalement, je suis super contente du résultat. Et une des plus belles récompenses depuis sa publication, c'est quand deux personnes qui venaient de loin se sont déplacées pour suivre un de mes tours à Paris après avoir lu le livre !
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Enfin, la question rituelle dans les interviews de Des Pages en Cuisine : quels sont tes livres de cuisine préférés ?
Je suis abonnée à ta newsletter, mais j'avoue, je ne cuisine pas beaucoup ! Par contre, je peux évidemment te recommander des livres de pâtisserie.
Le premier serait le livre de Macaron de Pierre Hermé. Ses macarons sont les seuls que j'aime bien... Mais le livre est aussi très bien expliqué, et j'ai fait plusieurs fois sa recette de macaron de base.
J'aime aussi beaucoup le livre de CAP pâtisserie de Michel & Augustin. Il est trop bordélique pour vraiment passer le CAP avec, mais j'aime le fait qu'il désacralise la pâtisserie. Et j'ai testé plusieurs recettes qui marchent très bien, comme leur recette de brioche qui est top.
Et enfin, j'ai beaucoup aimé Le cookie de nos rêves, notamment parce que les autrices ont mis des photos de cookies ratés avec des explications. Si votre cookie ressemble à ci ou ça, c'est parce que vous avez fait ci ou ça. C'est une super idée.
Infos pratiques
Merci Marion pour le temps (précieux !) que tu m'as accordé :)
Si vous souhaitez en savoir plus sur ses parcours de dégustation, n'hésitez pas à consulter son site ou son compte Instagram.
Et pour découvrir le travail de Matthieu Dalmais, RDV également sur son compte Instagram ou celui de sa boulangerie.
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Comment j'ai dégusté mon gâteau - Quand nos sens nous l'expliquent
Editions First
191 pages | Octobre 2021 | ISBN 9782412073131
🛒 Leslibraires.fr
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A noter que j'ai reçu gratuitement un exemplaire du livre de la part de l'autrice, mais évidemment, si le bouquin avait été l'équivalent d'un opossum à la crème en papier, je ne vous en aurais pas parlé 🤷♀️
Mon avis sur Comment j'ai dégusté mon gâteau
Vous pouvez retrouver mon avis sur le livre sur cet article (réservé aux abonné(e)s payants).
Le mot de la fin
J'espère que cette interview vous a plu !
Je retrouve les abonnés payants mercredi prochain pour une recette du livre, à savoir la tarte tatin aux épices chaï, où on décortiquera en détail les étapes de la recette pour la réussir, que vous soyez niveau cake marbré à la cool ou niveau saint-honoré de fou furieux 😅 Et je vous raconterai aussi une petite anecdote personnelle sur la pâte feuilletée que je ne crois pas encore avoir partagé en public.
Sinon, je vous retrouve tous ce dimanche, exceptionnellement, pour une nouveauté concernant la newsletter.
Puis RDV dans deux semaines pour une newsletter sur un tout autre sujet, un peu spéciale, sous forme d'"opinion"... J'ai vraiment hâte de vous l'envoyer.
N'oubliez pas de partager la newsletter autour de vous, chaque partage est un chic soutien pour moi !
Des bises, amusez-vous bien en cuisine, et encore merci de me lire :)
Marjorie
A noter que si vous achetez un livre sur leslibraires.fr via l'un des liens dans cette newsletter, je recevrai une petite commission (3% hors livraison et autres frais, pour être transparente).