Comment je suis devenue une végétarienne à mi-temps, ou comment Ottolenghi a changé ma vie - partie 2/4 : chronique du Cookbook et de Jérusalem
Et pourquoi ces deux livres sont mes préférés de toute la bibliographie d'Ottolenghi
Pour lire la première partie de cette série consacrée à Ottolenghi, c’est ici.
J’avais commencé une première version de cette newsletter en parlant de toutes les raisons “objectives” pour lesquelles j’étais tombée amoureuse du Cookbook et de Jérusalem. La précision millimétrée des recettes qui les rend inratables, le sens du partage qui infuse les deux livres, cette idée assez géniale de consacrer carrément un sous-chapitre aux aubergines dans Le Cookbook…
Mais je me suis dit que ce n’était finalement que 25% de la pyramide. Les 75% au-dessus, le plus important, était que la très vaste majorité des plats que j’avais faits étaient devenus instantanément des classiques, des plats que j’aurais envie de re-refaire et de re-re-manger sans jamais me lasser.
C’est comme les films. Plein de films sont très biens, mais vous ne les verrez qu’une seule fois dans votre vie et ça suffit largement comme ça. Et puis il y a les Délices de Tokyo ou Happy Times que vous revoyez pour la 3e fois, et comme les 2 fois précédentes, vous chialez en hoquetant de manière incompréhensible.
Bref, Ottolenghi et Tamimi sont mes Zhang Yimou des fourneaux, et leur Asperges, courgettes et manouri grillés (Le Cookbook, p 46, plus de détails dans la prochaine newsletter) est le Happy Times dans l’assiette qui continuera à me ravir même lorsque je me le resservirai pour la 30e fois.
C’est ce qui diffère ces deux ouvrages de bien d’autres livres de cuisine, même de la plupart que j’ai chroniqués dans la newsletter, où les recettes étaient souvent très bonnes, mais où je n’étais pas particulièrement pressée de les refaire. Et surtout, si j’en réalisais 2-3 recettes sur une dizaine de jours, je n’avais plus envie de retourner au livre en question avant un bout de temps.
Alors que dans les premiers mois où j’avais découvert Ottolenghi, j’avoue que j’ai tellement cuisiné leurs recettes que mon compagnon était convaincu que j’avais acheté les deux livres. Alors qu’en fait, je n’ai fait que les emprunter régulièrement dans les bibliothèques de Paris, que ça soit celle à 15 minutes de vélo de chez moi ou celle à 3/4 d’heure de métro 😅 S’ils font des statistiques, ils verront qu’une usagère un peu obsessionnelle constitue une bonne partie des emprunts des 2 ouvrages sur l’ensemble du réseau 😅
Bref, mon compagnon en a fait une overdose… Au point que maintenant, il bougonne toujours un peu quand je lui dis que ce soir, on mange Ottolenghi - même si au final, il avouera entre les dents que c’était pas si mal tout en se resservant…
Pourquoi le goût Ottolenghi a convaincu des palais du monde entier (et le mien dans le lot) ?
“Flavors [that] are bright and fresh”, “a sense of “generosity and love”, “the “feel-good” state engendered by cooking his food”… Il y a un peu de tout ça. Les couleurs vives de leurs assiettes, l’absence de chichi dans le dressage. Le mot “wholesome” en anglais caractérise parfaitement leurs recettes, ce côté “sain” mais pas qu’au niveau de la santé, mais aussi au niveau du mental presque.
Ca s’applique à moi aussi, mais pour ma pomme, je pense que mon amour pour leurs recettes a beaucoup tenu au fait que cette cuisine était à la fois très différente de mes habitudes et en même temps profondément familière.
Différente dans l’usage de certains ingrédients et épices jusque là méconnus pour moi, comme le duo gagnant zaatar et sumac, la mélasse de grenade ou les citrons confits - oui, exactement les trucs cités dans cet article pour “ottolenghiser” vos placards 😄
Mais familière parce que je retrouvais à côté de ça des ingrédients fétiches - l’ail, le citron, l’huile d’olive, la menthe et le coriandre par exemple.
Et surtout, c’était des saveurs franches, marquées, et qui ensemble, pouvaient faire de la magie : la complexité aromatique d’une dizaine d’épices savamment mariées, la vivacité des herbes, l’acidité du citron ou du yaourt grec… La cuisine que me proposait Ottolenghi était parfaitement relevée, fraîche, excitante, jamais ronde ou unidimensionnelle. Quelque part, elle me rappelait les mêmes marqueurs de la cuisine du sud-est asiatique avec lesquels j’ai grandi et appris à cuisiner à l’âge adulte.
J’ai finalement compris que ce qui n’avait pas marché pour moi, lorsque je tentais de réduire ma consommation de viande, était que la plupart des recettes végétariennes que j’avais essayées relevaient soit d’une cuisine du quotidien trop simpliste et pas franchement exaltante - quiches ou soupes de légumes par exemple ; soit d’une sorte de cuisine du monde sans identité, où 1 cuillère à soupe de sauce soja ou de cumin sont utilisés de manière un peu vaine pour rendre intéressants des plats qui étaient fades de base. En fait, ce n’était pas la viande en tant que telle qui me manquait. C’était la saveur et la puissance de goût des plats à base de viande qui me manquait, et en filigrane, le fait que la plupart que ceux que j’aimais avaient une identité ou étaient rattachés à une histoire.
La cuisine d’Ottolenghi, elle, alliait le meilleur des deux mondes : elle était non seulement délicieuse et fièrement subtile, mais elle était aussi ancrée dans son territoire, racontait à merveilles une région et ses liens multiples avec la nourriture, parfois avec une précision passionnante, comme lorsqu’Ottolenghi et Tamimi racontent tous les débats autour du houmous dans Jérusalem. Il y avait les saveurs, mais il y avait aussi le plaisir de faire entrer chez moi une cuisine qui a une identité profonde et une histoire millénaire. Et elle proposait des plats à base de légumes et de céréales qui semblaient d’une évidence déconcertante.
C’est ainsi que j’ai commencé à manger moins de viande, mais sans foncièrement le chercher, grâce aux saveurs mais aussi au parti pris des livres et plus généralement du style Ottolenghi. Pour vous donner un exemple, dans Le Cookbook, le chapitre “Légumes, légumes secs et céréales” s’étend sur 93 pages, tandis que le chapitre “Viandes et poissons”, qui vient d’ailleurs après le chapitre sur les légumes, compte 47 pages. Exactement l’inverse d’une bonne partie des livres de cuisine, qui placent la viande en premier et consacrent généralement peu de pages aux légumes, souvent considérés comme des accompagnements.
Par la suite, j’ai évidemment exploré d’autres cuisines pour découvrir ou redécouvrir des plats végétariens, mais encore maintenant, cette cuisine levantine telle que nous la traduit et réinvente Ottolenghi et Tamimi reste la cuisine “légumes et céréales-friendly” que j’aime le plus explorer à la maison. Même si, vous le verrez dans la newsletter consacrée aux recettes testées, j’ai aussi beaucoup aimé tester quelques uns de leurs plats à base de viande.
A propos du Cookbook et de Jérusalem, dans le détail
Ces deux livres sont les deux premiers que Yotam Ottolenghi et Sami Tamimi ont publiés. Après avoir consulté d’autres livres plus récents du groupe, comme Flavour ou Simple, ces deux-là restent mes préférés (avec en bonus Falastin, co-écrit par Sami Tamimi et Sara Wigley, que je trouve aussi très chouette). Ce n’est évidemment qu’une préférence personnelle, les autres livres sont très biens aussi, et j’aime beaucoup le fait qu’on voit évoluer leurs livres selon leur ligne éditoriale.
Mais je préfère Le Cookbook et de Jérusalem principalement parce que les deux ouvrages restent profondément ancrées dans leur région d’origine et les saveurs de leur enfance, alors qu’une partie des livres suivants ont une vibe plus internationale et certaines de leurs recettes me parlent moins. Par exemple, un kimchi and gruyere rice fritters, bah oui, ça me fait moins rêver.
Mais que je sois bien claire : rien ne m’énerve plus quand on cantonne automatiquement quelqu’un à ses origines ou à celles des générations avant lui / elle. Quand je parle de ma reconversion, je suis toujours un peu soûlée à chaque fois qu’on me dit “c’est quoi ton projet de charcuterie, une charcuterie asiatique ?” Bah peut-être que oui, mais peut-être que non aussi, et que j’ai plutôt envie de lancer un atelier de production de chorizo ou de fricadelle, hein ! Je sais que ça part généralement d’une bonne intention, mais honnêtement, ça me fait le même effet que lorsqu’on demande à une femme récemment mariée : “alors, le bébé c’est pour quand ??” (ça aussi, ça sent le vécu 😅)
Tout ça pour dire que si Ottolenghi et Tamimi ont envie de proposer une recette de tofu au poivre ou un poulet mexicain, j’ai envie de dire, pourquoi pas - même si l’intitulé “poulet mexicain” ne veut pas dire grand chose en soi, mais passons.
Mais on en revient à la notion d’identité et d’histoire personnelle qui me sont chères dans les livres de cuisine. Il y a dans Le Cookbook et Jérusalem une forme d’affection et de fierté joyeuse pour leur héritage, une envie de transmettre une part d’eux-mêmes qui m’a émue. Ces deux livres sont bien plus que les recettes qui les constituent, ils racontent aussi deux personnes à l’amitié qui semblait forgée par le destin, leur amour partagé pour la nourriture de leur enfance, et ça se sent à chaque page, en particulier dans Jérusalem.
Ca c’est une chose. Il y a aussi le fait que les recettes du Cookbook et de Jérusalem correspondent à une façon de cuisiner que j’aime bien : beaucoup d’épices, souvent beaucoup d’ingrédients, et des recettes qui, pour la majorité de celles que j’ai faites, demandent un peu de temps de préparation. Certes Polpo m’avait épatée pour ses recettes exécutées en trois coups de cuillère à pot avec deux ingrédients, mais j’aime passer du temps en cuisine, l’attention que ça demande. Donc les recettes un peu longues du Cookbook et de Jérusalem me plaisent beaucoup pour cela.
Bien entendu, mes amis jeunes parents seront en train de hausser les épaules en m’écoutant parler de ma vie de riche - comprendre, de personne qui a plus de 15 minutes de temps libre par jour et dort 7h par nuit 😄 Et ils ne sont pas les seuls, comme Simple était une réponse aux lecteurs qui se plaignaient que les recettes des premiers titres étaient trop compliquées et les listes d’ingrédients trop longues. Mais voilà, y’en a pour tous les goûts ! Et si comme moi, vous vous détendez en regardant des trucs mijoter longtemps dans une casserole, ces livres sont faits pour vous.
Les deux livres sont également formidables pour les raisons suivantes :
La précision et la justesse incroyables des recettes comme je le disais au début, où chaque cuillère et demie de quelque chose est juste ce qu’il faut, ni plus ni moins, et où ce qu’on réalise est généralement très proche de la photo. Pas d’expectations vs. reality !
La simplicité à suivre les recettes, même si elles semblent longues. Je comprends que certains lecteurs aient pu prendre peur, quand on voit tout ce texte pas aéré et écrit en tout petit dans le Cookbook. Mais les instructions sont souvent très détaillées, ce qui aide beaucoup.
A noter que je ne vous parle pas du graphisme général des deux livres, parce qu’à part les jolies photos illustrant la vie à Jérusalem, les deux livres sont assez quelconques niveau photos des plats et mise en page. Et ne me lancez pas sur la couverture nouvelle version du Cookbook que je trouve affreuse ! Mais on dira que la qualité de tout le reste suffit à compenser :)
Et si vous ne deviez en acheter qu’un, entre le Cookbook et Jérusalem ?
Même si j’ai de l’affection pour Le Cookbook, comme c’est le premier livre d’Ottolenghi que j’ai découvert, j’ai quand même une préférence pour Jérusalem, ne serait-ce que pour l’intention du livre, qui était de mettre en valeur le patrimoine culinaire de la ville d’enfance des deux auteurs. A l’opposé, Le Cookbook était davantage une introduction à leur style de cuisine suite au succès de leur premier restaurant londonien.
Jérusalem est bourré d’explications sur des produits et des plats qui sont très intéressants à lire. Les introductions aux recettes sont également plus fouillées, et permettent d’avoir précisément l’histoire de chaque plat.
Par ailleurs, Jérusalem est davantage axé plats, alors qu’il y avait beaucoup de desserts, plutôt d’inspiration anglo-saxonne, dans Le Cookbook.
Enfin, on sent en parcourant l’ensemble des livres des deux auteurs que Le Cookbook était un premier galop - Jérusalem publié à la suite est déjà plus abouti. Comme le dit Food52, qui avait publié un guide des livres d’Ottolenghi :
Flipping through Ottolenghi is like rereading Harry Potter and the Sorcerer's Stone after you've finished Harry Potter and the Deathly Hallows: You can delight in the fact that the book once delighted you while understanding its nascency in the context of what's to come. You can't unlearn what you've learned, after all.
Sinon, c’est quoi l’ail noir ? Petit topo sur les ingrédients
Parlons d’un des trucs qui a été le plus critiqué chez Ottolenghi, la difficulté à trouver certains ingrédients, comme l’ail noir ou la harissa à la rose.
Je reconnais que si on habite à la campagne où le marché le plus proche est un Leclerc, ça risque d’être un peu compliqué pour une partie des recettes. Mais honnêtement, un bon nombre des plats restent faisables avec des ingrédients de supermarché.
Sinon, pour les parisiens, c’est vraiment easy. Il y a l’épicerie Sabbah pour les produits du Levant ou les fruits secs - ils ont même aménagé un coin Ottolenghi comme les clients leur demandaient tout le temps certains ingrédients ! Vous pouvez aussi vous approvisionner dans les épiceries indiennes de Gare du Nord (comme celle-ci) pour les épices, vraiment pas chères.
A noter que j’ai toujours pas acheté d’ail noir et d’harissa à la rose et ça ne m’a pas empêchée de tester jusqu’à présent une bonne quinzaine de recettes 😄
Et la suite ?!
Et les recettes testées, elles sont où, me diriez-vous ? Eh bien dans la 3e partie :-)
Et si vous vous demandez ce que j’aurais aimé créer comme charcuterie, rendez-vous dans la 4e partie pour la conclusion !
La semaine prochaine, on fait un petit interlude, avec une newsletter consacrée à un guide librairies et maisons d’édition spécialisées cuisine.
Donc à la semaine prochaine pour cette newsletter-guide, et à dans deux semaines pour la suite de nos aventures avec Ottolenghi !
Bonne cuisine, encore merci de me lire, et à bientôt !
Marjorie
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